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dimanche 12 février 2012

Au restaurant de la table dégarnie






- Vous avez choisi, monsieur ?
- Oui, je voudrais le velouté de...
- Khlassana. Le cuisinier a raclé le fond de la marmite et rajouté un peu d'eau,
pour donner le peu qui restait au client que vous voyez là-bas. C'est un habitué, il déjeune ici tous les jours, aussi le week-end. Pourtant il a deux épouses à la maison.
- Bon alors, je prends les escargots à...
- Il y en a pas monsieur parce qu'il n'a pas plu ces derniers jours.
- Les escargots que vous servez ici, vous tombent du ciel ?
- Non monsieur. Quand il pleut, les escargots sortent se promener en bandes.
- Ah oui ?
- Oui monsieur, c'est plus facile pour eux de se déplacer sur le sol mouillé.
C'est comme faire du ski, mais sur l'eau.
- Du ski nautique.
- Non, les escargots n'ont pas de mains, ils ne peuvent pas tenir la corde qui est attachée au bateau. S'ils tombent dans l'eau, ce sera difficile de les repêcher car les poissons s'empresseront de les manger. C'est un festin pour les poissons. De la nourriture gratuite sans hameçon.
- Parlant de poisson.... je prendrais bien un filet de daurade aux champignons.
Et ne me dites pas qu'il n'y en a pas non plus, que la mer était démontée et que le bateau de pêche n'a pas quitté le port !
- Il y en a monsieur, mais je suis désolé, il n'y a pas de champignons.
- Quelle est l'excuse cette fois, les champignons ne poussent plus par ici ?
- Si, ils poussent comme des champignons dans la région.
- Ah, quand même !
- Hier, je suis allé avec mon frère cueillir des champignons. Il y en avait partout. On s'est amusés à les écraser avec le pied. C'est comme quand on écrase une éponge mouillée. On s'est amusés comme des gosses.
- Cela ne me surprend pas. En somme, vous êtes partis écrabouiller des champignons
pas en cueillir.
- Khati. Nous avons cueilli  deux gros sacs.
- On vous les a volés ?
- Je vais vous raconter ce qui s'est passé. Pendant qu'on s'amusait à écraser
les champignons avec le pied, mon frère a glissé et s'est cogné la tête contre un arbre.
Il ne s'est pas relevé. Je croyais qu'il jouait la comédie, comme s'il avait perdu connaissance. J'en ai profité pour le gifler très fort sur les deux joues, pour le réanimer. Malgré les gifles que je lui avais données, ses joues étaient toujours pâles. Il était blanc comme un lait sans café. J'ai compris qu'il s'était évanoui pour de vrai. J'ai paniqué. Je lui ai enlevé la veste, le pull, le tee-shirt et le tricot de peau pour écouter son cœur. Hamdoullah, son cœur battait toujours. Je lui ai mis quelques gouttes d'huile d'olive, qu'on avait avec nous pour le déjeuner, dans la bouche et sous les aisselles. Je vous jure monsieur, aussitôt après mon frère a ouvert les yeux. Notre huile fait des miracles !
Dans la précipitation, en rentrant à la maison, on a oublié les sacs de champignons et le tricot de peau de mon frère.
- Vous n'auriez pas par miracle des frites à la place des champignons ?
- Vous n'allez pas me croire monsieur, il y a à peine une heure, on a envoyé les frites qui restaient au cousin du patron qui a un restaurant près du port, pour le dépanner parce qu'il n'a plus de pommes de terre.
- Alors dites-moi ce que vous avez, ça ira plus vite.
- Nous avons des petits pois et des carottes.
- Je prends un filet de daurade, des petits pois, des carottes et une salade verte.
- Bien monsieur, mais il n'y a pas de salade verte aujourd'hui.
- Laissez-moi deviner, vous n'en avez pas parce que la tortue que vous avez dans l'arrière-cour l'a mangée ?
- Non, monsieur. On n'a pas de tortue. On a un chien de garde. Aujourd'hui, il y a de la salade de tomates aux olives de la région.
- Alors, une salade de tomates.
Dites-moi, le cousin qui a le restaurant près du port, ne peut pas vous dépanner avec du matlou' ?
- Il n'en sert plus. Il fait comme nous, il commande son pain chez le boulanger. La femme qui lui faisait la matlou', ne peut plus pétrir la pâte à cause de l'arthrose des doigts.
- Tant pis ! Apportez-moi du pain de boulanger.
- Vous prenez un dessert, monsieur ? Je vous le dis maintenant parce qu'il nous reste pas beaucoup de crème brûlée. Je vous en réserve une si vous voulez ?
- Non merci, je ne prends pas de dessert. Réservez-le pour le client qui est arrivé il y a une quinzaine de minutes et qui attend d'être servi.
- Ce n'est pas ma table. C'est la table de mon collègue. Il est en train de déjeuner.
- Vous avez déjeuné, vous?
- Oui, je déjeune toujours le premier.
- Vous me rassurez. Apportez-moi l'addition aussi.
- Vous payez ici, monsieur ?
- Non, j'irai payer chez le cousin qui a le restaurant près du port.
- Vous ne le trouverez pas à cette heure-ci. Il va déjeuner chez sa mère qui habite de l'autre côté de la ville.
- Vous vous payez ma tête ou c'est votre nature ?
- Je ne comprends pas monsieur. Je suis payé pour faire mon travail, comme tous les autres.
- Il a de la chance de vous avoir, le patron !
- Il est très gentil avec nous. Parfois, il nous permet de prendre les restes des plats des clients.
- Sinon il les jette ?
- Non, il les met au congélateur.
- Hum... je vois. Je crois que je vais aller m'acheter un sandwich à la brasserie. Le propriétaire n'est pas le cousin de votre patron, dites-moi ?
- Non, mais je le connais de vue.
- Tenez, c'est pour vous.
- Oh merci. Vous êtes très généreux, monsieur.
- Au revoir !
- Au revoir monsieur.

Makhlouqiate
Le 04 décembre 2011

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