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dimanche 12 février 2012

Ya monsieur, je suis venue acheter des fruits




- Un kilo de pommes, s'il vous plaît.
- Un kilo ? Vous vivez seule, bayna.

Bayna win ? Maktouba fi djbini. J'en connais qui achètent des demi-kilos et ils ne vivent pas seuls. Ils ont une famille et des enfants à nourrir. Yakhi dssara, yakhi !

- Et un kilo de poires, s'il vous plaît.
- Elles sont juteuses, vous ne le regretterez pas. Quelques oranges aussi ? Elles viennent direct d'un domaine à El Affroun.
- C'est cela, moi aussi je viens d'El Affroun...
- Pardon ?
- J'ai dit que ça se voyait, khiar eness.
- Ysselmek khti. Vous vous en ferez du jus le matin. Il n'y a pas mieux pour le teint.

C'est cela ! Maintenant, c'est mon teint qui est terne, parce que je vis seule. Yakhi qbaha, yakhi !

- Mettez-en un kilo, s'il vous plaît.
- Et un autre kilo !

Ya monsieur le marchand de fruits, nechri bel kilo, parce que je vis seule comme les pierres, je n'ai malheureusement pas un teint de pêche. C'est gentil de vous en soucier et de me proposer des oranges dont la peau me rappelle mon problème de cellulite. Yakhi hala, yakhi !

- Il font combien les régimes de dattes ?
- Je n'ai pas de aârdjoun d'un kilo...

Chkoun qal, je veux acheter un aârdjoun d'un kilo. Yakhi tekhmam, yakhi !

- J'ai des branchettes de 3 kg, je vous en mets une ?
- Ce n'est pas suffisant, si vous en avez une de 6 kg ou plus...

Ya monsieur le marchand de fruits, pourquoi êtes-vous étonné ? Eh oui, cela fait plus d'un kilo ! Je vais me gaver de dattes, comme d'autres se gavent de chocolat, pour oublier ma solitude, mon teint terne et ma cellulite. Yakhi miziria, yakhi !

- C'est pour l'envoyer à de la famille en France ?

Nos émigrés saknine ghir fi França? Et si on achète un aârdjoun de plus de 5 kg, c'est pour l'envoyer lel familia li rahi fel ghorba wa mechtaka tamra ? Yakhi aâqliya, yakhi !

- Vous me l'enveloppez, s'il vous plaît.
- Je vous conseille de l'envoyer dans une caisse en carton solide pour que les dattes ne s'écrasent pas, ma yalhqouch rouina.

Merci pour le conseil. Mais vous savez, quand on veut envoyer des dattes ou autre chose à des personnes vivant à l'étranger, parce que msakan yatchahaw maklatna, et que même s'il y a les mêmes épices, les mêmes fruits, les mêmes légumes dans le pays où elles vivent, le goût n'est pas le même à ce qu'il paraît.
On n'envoie pas de colis de aârjoun de dattes par la poste. On charge quelqu'un pour cela, quelqu'un qui se rend à l'étranger.
La plupart du temps, on ne connaît  pas ce quelqu'un. C'est soit l'ami du cousin ou du voisin, soit le voisin du cousin ou de l'ami. Et même si ce quelqu'un ne va pas dans le pays où habite le destinataire des dattes, on lui fourgue le aârdjoun pour qu'il l'envoie par la poste de son pays, car c'est plus sûr et plus raiide. Yakhi tmermida, yakhi !

- Je n'ai pas l'intention de l'envoyer à l'étranger
- Kech walima fi darkoum...

Quand j'achéèe un kilo de fruits, j'habite seule et maintenant que j'achéèe un aârdjou de 7 kg, j'habite fi darna. Yakhi waqeb, yakhi !

- Non, il n'y a pas de walima chez moi. Combien je vous dois ?

Ya monsieur le marchand de fruits, ne me regardez pas comme ça, je ne vous dirai pas pourquoi j'achète un kilo de pommes, un kilo de poires, un kilo d'oranges mais un 3arjoun de dattes de 7 kg, bien qu'il ne reste pas 7 kg de dattes, si on enlève les branchettes, et vous ne saurez pas s'il y a une walima chez moi ou si j'habite seule ou fi darna.
Je vous paie ce que je vous dois et je m'en vais. Je reviendrai acheter des fruits chez vous, si je repasse par là. Je ferais semblant de croire que vos fruits viennent d'un domaine d'El Affroun, que toutes les bourses achètent plus d'un kilo de chaque fruit que vous vendez, que les Algériens émigrent en France, que même si ils émigrent ailleurs cet ailleurs sera toujours appelé França ou el Marikan.
Tout cela m'aurait fais rire, si les circonstances s'y prêtaient.

Ce que vous ne savez pas ya monsieur le marchand de fruits, est que je pouvais acheter ces fruits et ce aârrjoun chez mon marchand de fruits qui est à deux pas de chez moi. Si j'ai fais des kiloméères et me suis arrêtée chez vous, c'est parce que je n'avais pas envie de faire la causette avec mon marchand de fruits qui est plus bavard que vous. Le coeur n'y est pas aujourd'hui, il n'y était pas hier et il n'y sera pas demain non plus.

Ya monsieur le marchand de fruits, ce soir quand vous rentrerez chez vous, et qu'on vous demandera si la journée a été fructueuse, et que vous répondrez que vous en avez marre des mchanffine, qui affichent un teint d'enterrement, dites-vous que peut-être ces clients-là sont passés chez vous acheter des aârjoun de tmar pour une janazza et qu'ils ne pouvaient pas afficher une autre tête que celle de leur tristesse.

Que dites-vous ? Ce n'est pas votre profession ? Vous n'êtes ni chouaf ni psychologue ? Je vous l'accorde, ya monsieur le marchand de fruits, c'est moi qui vis entourée de psy et de personnes qui croient tout savoir, tout deviner.
Je vous prie de m'excuser.

Makhloukiate
Le 15 octobre 2011

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