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dimanche 12 février 2012

Au souk des moutons








Acheter le mouton de l'Aïd n'est pas une mince affaire, surtout, si après, on veut le mettre dans le coffre de la voiture. Pire encore, si le coffre est plus petit que le mouton. C'est comme avoir les yeux plus gros que le ventre du kebch.

Chez moi, l'achat du mouton est une affaire d'homme. Tous les ans, et pour les occasions, c'est mon père et mon frère qui s'en occupent. Quand j'ai demandé à mon père, pourquoi c'était toujours les hommes qui allaient au marché aux bestiaux, alors que les femmes pouvaient bien le faire, puisqu'elles allaient chez le boucher acheter du mouton égorgé et découpé? Il m'a répondu que si les femmes y allaient pour acheter un mouton, ce serait des boucs qu'elles rameraient à la maison.
Il a toujours refusé que je les accompagne au marché en prétextant que j'allais sursauter à chaque fois qu'un mouton ferait "Bâââ". Et mon frère de me taquiner :  "Khtou tu risques d'abiîer ton vernis à ongle et tes cheveux sentiraient le aâtrous.".
L'odeur du aâtrous est insupportable, mais je ne vois pas comment j'abîmerais mon vernis à ongles !


J'ai une copine qui vit avec sa mère et sa petite soeur. C'est elle le soutien de famille vu que sa mère ne peut pas travailler et que sa soeur est encore collégienne.
Elle m'appelle pour me demander si je peux l'accompagner à Baraki pour acheter un mouton. Wachnou ?! J'ai accompagné des copines au hammam, au marché, chez le marchand de meubles, chez la coiffeuse, chez la chouafa, aux janazate, chez le dentiste, chez le médecin, chez le psy, à la ferme de aâmi Hmida qui vend des oeufs pondus le jeudi, à la foire, à des fêtes de mariage, aux ministères, aux mairies, aux marches, aux rentrées scolaires, mais au souk des kbech, c'est une première !

Elle me dit qu'elle a décidé cette année d'acheter elle-même le mouton pour sa famille, qu'elle ne voulait plus charger son oncle de le faire car elle le soupçonne de gonfler le prix. Elle me dit que son collègue nous accompagnera.
Elle me demande de ne pas me mettre sur mon 31 parce que c'est un mouton que l'on va acheter, qu'on ne va pas faire du shopping. Dachou ?! Non, j'irais chez la coiffeuse me faire un chignon qui ressemblera à la Tour de Pise et je mettrai une robe de soirée et des escarpins à talons. Anaâyed qbal mel waqt.
Elle me dit aussi qu'elle passera me prendre très tôt car son collègue lui a dit qu'il fallait être de bonne heure au marché des ovins si l'on voulait avoir un bon mouton. Achou ?! A six heures du matin ! C'est un mouton que l'on va acheter pas un serdouk !

Je ne sais pas ce qu'on met pour aller au souk aux bestiaux. J'ai opté pour un jeans, un chemisier des santiags et une veste.
En me regardant dans la glace, j'ai éclaté de rire en me disant qu'il  me manquait  le chapeau et le lasso.

A six sonnantes du matin, ma copine m'envoie un sms me disant qu'elle m'attendait devant le portail. Je prends mon sac et je sors en oubliant d'éteindre la lumière dans ma chambre, dans la cuisine, dans le couloir, dans la salle de bains et le placard à chaussures. Je sais qu'au retour à la maison, j'aurai droit à une leçon sur le coût et l'économie d'énergie.

Ma copine portait une robe longue et un manteau trois-quarts qu'elle ne pouvait pas boutonner. Son collègue, un homme bien portant Allah Ybarek, qui a une respiration haletante, on dirait Aändou diqa, il ortait un pantalon tergal trop juste, comme Chaou en portait à l'époque où il séduisait son voisine. Un faux mouvement, adieu les coutures et bonjour la tbahdila.

Le collègue dit qu'il connaît bien le marché de Baraki et qu'il s'y connait en moutons. Tant mieux ! Parce que ma copine et moi, nous ne savons par où commencer.
On roule en discutant de politique, de travail et de régime alimentaire. C'est le collègue de ma copine qui a abordé le sujet du régime et ma sqatche hetta alhaqna à Baraki. Yahdar baslamtou !
Là, ma copine l'interrompt pour lui demander où se trouve le souk. Il lui dit que c'est à la sortie de la ville.
On roule jusqu'à la sortie. Makan la souk la beggar. "Il l'ont déplacé.", dit le collégue. Win ? Il ne sait pas.

Que faire alors? A cette heure-ci les rues de la ville sont désertes. Où est-ce qu'on peut se renseigner ?
Le collègue propose d'aller se renseigner à la gendarmerie. La copine lui dit : "Ma ranich mahboula, tu veux eux pas qu'ils nous tireent dessus ?". Je propose d'aller au café si il y en a un et s'y renseigner. On demande au collègue s'il sait où se trouve le café. Il dit qu'il ne sait pas parce qu'il ne fréquente pas les cafés où il ne connaît personne. Ca commence bien avec lui !

Mziya, un homme passe. On l'interpelle en même temps, ma copine en : "Smahli khoya", le collégue en : " Ya Si Mohamed et moi en : "Aâmi el hadj.".  Khlaânah, Les Pieds Nickelés à Baraki !
Ma copine prend la parol, de toute façon, t'heb toujours tetfardam.. Elle lui demande ouùse trouve souk lekbech. Il lui répond qu'il n'y a pas de souk laghnam à Baraki, mais qu'il y en a à Sidi Arcine. Win jaya Sidi Arcine ? "Sidi Rzine, machi bi'da.", qu'il nous dit. Il nous montre, à façon, comme y aller.
Quand il finit d'expliquer, il nous dévisage et nous dit qu'il n'y a pas de souk n'ssa au marché de Sidi Rzine. Le collègue s'empresse de lui dire : "Raani m3ahoum." Et l'homme, le regard sceptique, lui dit : "Makach essoug elyoum, kayen ghir b'tnin wa lakhmiss.". Chawala ?! Pas de souk aujourd'hui ! Ma copine et moi, nous regardons le collègue la colère dans les yeux. Il nous dit qu'il ne le savait pas. "Lah jabnah mâana hada," semble me dire le regard que me lance ma copine. Saqssi rouhek, c'est  ton collègue pas le mien !

Que faire ? "On peut aller à Souk El Harrach.", suggére le collègue. Là-bas, il y a toujours des moutons à vendre. Et c'est maintenant que tu le dis !
A contre-coeur, on rebrousse chemin et on se dirige vers El Harrach. Plus on approche de la ville, plus la circulation se fait dense. Ca promet !

On arrive à El Harrach. Il y a beaucoup de monde. Il y a des voitures et des camionnettes garées n'importe comment. Après une attente de quelques minutes, nous arrivons à trouver une place pour garer.
Il y a du monde au souk. Des camionnettes chargées de moutons qui bêlent, des maquignons qui crient, des enfants qui courent dans tous les sens, des hommes marchant les mains derrière le dos, certains tenant une corde, quelques femmes accompagnées... Haamedj !

"Je vous avais dit qu'il fallait venir de bonne heure...", dit le collégue," Regardez ce monde 1".
Et la copine de rétorquer : "Si on était venus directement ici au lieu d'aller à Baraki où il n'y a pas de moutons, on aurait été les premiers et on serait sur le chemin du retour maintenant."
On se dirige en silence vers les camionnettes stationnées. Avant de les approcher, le collègue nous chuchote qu'il faut le laisser faire et surtout éviter de parler du prix, qu'il faut laisser cela en dernier, qu'il s'en chargera, parce qu'en  les femmes, on peut nous avoir facilement. Rouh ya sidi, warina chtartek !

On s'arrête devant la première camionnette, à l'entrée. Le collEgue demande to de go au vendeur combien coûtent les moutons. Hadi li qalek, il ne faut pas parler du prix ! Le vendeur :"Kkayen wa kayen. Kayen khrouf men tlatin kilos wa tlaâ". "Je veux un mouton de 80 kg", lui dit le collègue. "Ca ne va pas !", lui dit la copine, "Tu crois que j'ai une armée chez moi. Un mouton de 50-60 kg nous suffit.".
"Radjlek kerchou kbira " lui dit le vendeur en riant. "Machi radjli", s'empresse-t-elle de dire.

Le vendeur nous montre un mouton qui fait 70 kg. Le collègue le tâte pour voir s'il n'est pas maigre sous la laine. La copine fait de même. Le collègue s'agenouille difficilement pour voir le dessous du mouton. La copine fait de même. Après, il ouvre la gueule du mouton et met ses doigts à l'intérieur. Clap ! le mouton ferme la gueule et le mord.
Le collègue devient rouge mais retient son cri. La copine essaie de l'aider en tirant sur le bras pour retirer les doigts coincés dans la bouche du mouton. Walou ! Le mouton tient bon.
Alors le vendeur, un sourire moqueur aux lèvres, ouvre lentement la gueule du mouton. Hamdoullah, le collégue retire ses doigts qu'il enroule dans le mouchoir à fleurs que lui tend la copine.
Il demande au vendeur si le mouton est enragé. Le vendeur lui dit qu'il élève des moutons pas des chiens.

Nous retournons à la voiture pour mettre un peu d'eau froide et de la crème sur les doigts enflés du collègue. Nous lui proposons de le conduire aux urgences. Il dit que ça va, ça ne lui fait plus mal,que l'on peut retourner au souk.

Nous retournons au souk. Nous allons voir un autre vendeur. Celui-là porte des Ray-Ban. Ma copine lui demande s'il a des moutons de 50-60 kg. Il lui répond qu'il a des moutons de différents poids et tailles. Il lui montre un mouton aux cornes spiralées. Elle s'approche pour l'examiner. Le mouton tente de mettre ses pattes de devant sur les épaules de ma copine. Elle recule et l'évite de justesse.
Le collègue lui dit:  "Ne le prends, hada kebch maâdi. Tu auras des probléèmes avec lui."
 Le vendeur lui demande  si c'est lui qui va égorger le mouton. Le collègue  répond qu'il n'égorge pas de mouton, qu'il n'aime pas voir les bête souffrir. Le vendeur se tourne alors vers ma copine et lui dit : "Ya madame hada kebch chaâbi, iheb enass. Chouffi, aâynih k'houla, ichouff fel dalma. Chouffi, rassou byad ki radjlih. Chouffi, essouf s'hiha, tadjabdiha ma tatnahech. Chouffi, wadnih, hachek, habtin. Chouffi, snanou kbar machi taâ l'hlib. Aândou khams snin wa mvaccini, ma a*andak ma tkhafi, madame.".
Le collègue lui demande s'il a le carnet de vaccin du mouton. Le vendeur ignore sa question. Il demande encore ce que mange le mouton. Le vendeur se tourne vers lui et lui dit " "Yakoul el gort kima khawtou, ida ghadak, chrilou pizza fel week-end.". C'est le vendeur qui est maâdi, finalement !
La copine dit que le mouton lui plaît, qu'il a une tête sympathique. Elle me demande mon avis. Je lui dis qu'il a l'air bien portant et en bonne santé et qu'il a le poids qu'elle recherche, qu'il plaira certainement à sa maman.

Après, un dernier examen du mouton men el fouq wal taht et un marchandage de dix minutes, tout le monde se met d'accord et le marché est conclu. Bassaha wal baraka !
On prend le mouton et on quitte le souk.

Arrivés à la voiture, on constate que le mouton est trop grand pour la voiture. Wach ndirou ?
Le collé"ue nous demande : "Vous voyez ces camionnettes là-bas? Oui, on les voit. "Vous voyez les conducteurs à l'intérieur?". Oui, on les voit. "Eh bien ce sont des clandestins". Wach rak tassana, va nous en chercher un !

Après un autre marchandage, un clandestin consent à transporter le mouton jusqu'à la maison. Enfin, on va rentrer ! L'odeur au souk est insupportable.
Le collègue monte avec nous dans la voitures. Ma copine et moi, nous le regardons avec de gros yeux. "Wach kayen ?".  Kifach wach kayen, tu laisses le clandestin seul avec le mouton. S'il le vole. Et même s'il n'a pas l'intention de le voler, comment va-t-il savoir oû l'emmener ! "Je n'y ai pas pensé, je vais monter avec lui et lui montrer le chemin."  Yafham kiheb, macha' Allah !

Le mouton est bien arrivé à destination. La mère de ma copine a fait un youyou en le voyant. Elle nous a retenus pour le déjeuner, sauf le clandestin qu'elle ne connaît pas.
Je suis rentrée fatiguée mais contente de ma journée. J'ai bien ri.

Mon père a raison de dire que le marché du bétail n'est pas fait pour les femmes. Moi, je dis qu'il n'est pas fait non plus pour certains hommes.

Makhlouqiate
Le 30 octobre 2011

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