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samedi 12 mai 2012

Ya Sid el Mir




 
Monsieur le Maire,

Je vous écris cette lettre que je dicte à mon fils en arabe et lui, il l'écrit en français ; parce que lui, il a eu la chance de faire partie des générations qui ont eu l'opportunité d'aller à l'école. Ce n'est pas le cas de ma génération et celles d'avant qui sont nées au mauvais moment. Remarquez, les générations d'aujourd'hui ne sont pas mieux loties.
Je ne regrette rien. Je vous le jure sur la tombe de mes parents. J'ai aujourd'hui des enfants, trois filles et deux garçons. Ils vont tous à l'école sauf l'aînée, elle et l'école, elles ne peuvent pas partager le même piputre... le même puipitre... le même pupitre.

Excusez mon fils, il ne sait pas écrire puis... pupitre. C'est un mot qu'il n'utilise pas à l'école. Il dit que son professeur emploie le mot "table".
Chez nous, la table, c'est pour manger quand nous avons des invités, sinon nous utilisons la meïda ; vous savez cette table basse et ronde autour de laquelle toute la famille se réunit pour manger dans le même plat, pour la baraka et pour que ça suffisemà toute la famille.
Je suis sûre que vous connaissez la meïda, vous qui êtes issu du même village que mon père, Allah Yarahmou.

Monsieur le Maire, je vous écris pour vous parler de mon problème. Zetlak hammi car je suis certaine que vous recevez des milliers de lettres de citoyens sollicitant votre haute bienveillance, même ceux qui n'ont pas voté pour vous.
Je vous l'avoue, je n'ai pas voté pour vous. Je n'ai rien contre vous ni contre les autres candidats qui n'ont pas été élus.
Le jour du vote, j'ai dû aller travailler. J'ai suis allée aider une femme à faire le grand ménage chez elle. Elle a l'épaule déboutée, pardon déboîtée. Miskina, elle ne peut pas bouger le bras droit.

Je vous raconte mon problème. Je suis divorcée depuis quatre ans. Mon ex-mari est parti  travailler dans la capitale et n'est plus revenu. On était encore mariés à l'époque. Il s'est remarié à mon insu et sans mon consentement. J'ai appris six mois plus tard qu'il s'était remarié avec une femme de là-bas. Une femme plus cultivée et plus évoluée que moi d'après ses dires.
Je la plains parce que lui quand il mange, c'est un ogre. Il mange avec ses yeux, ses dents et ses mains. Il est le premier servi. Il ne pense jamais à nous pourvu qu'il soit rassasié.

J'ai, à ma charge, les enfants. Mon ex-mari refuse de payer la pension et pour les enfants et pour moi qui ne travaille pas. Il dit qu'il ne peut pas la payer parce qu'il ne gagne pas assez. Je sais que sa femme travaille aussi. Elle est instititrice...  in...sti...tu...trice.
Je lui ai envoyé mon fils aîné, celui qui écrit cette lettre (c'est moi) pour le raisonner un peu. Je me suis dit qu'il l'écouterait. Figurez-vous, Monsieur le Maire, il l'a chassé à coups de pied (je ne vous dirai pas où, mais en tout cas ça fait mal) du seuil de la maison jusqu'au trottoir d'en face. Il a failli être renversé par une voiture. En plus, le conducteur au lieu de lui venir en aide, l'a traité de hmar, hacha qadrak.
Heureusement que mon fils est calme. Il n'a rien fait à son père qui est chétif et plus petit que lui. Il aurait pu le maîtriser rien qu'en soufflant sur lui. Je l'ai bien éduqué, mon fils. Même s'il ne veut plus entendre parler de son père, il le respectera toujours.

Ce n'est pas fini ! Quelques jours plus tard, mon ex-mari est venu nous menacer. Il a dit que la maison que nous occupons était à son nom. Il veut nous en expulser.
J'ai peur. Je n'ai pas où aller. Je vais me retrouver à la rue avec mes enfants.
Mes enfants et mois n'avons pas les moyens de louer ailleurs. Vous savez à combien se louent les maisons aujourd'hui ? Je ne vous le dis pas. Vous risquez d'avoir une syncope, bei'd char aâlik.

Monsieur le Maire, je ne vous demande qu'une chose : un logement pour mes enfants et moi. Un F3 ou F4. Je ne demande ni villa ni firma.
Cela fait trois ans que j'ai déposé mon dossier ADL dans la commune. Mais je n'ai rien vu arriver ; alors que je vois des immeubles se faire construire et des logements octroyés à des personnes qui ne sont pas du tout dans le besoin. Vous comprenez quelque chose, vous ?
Moi, j'ai compris depuis longtemps : edaniya maâ el waqaf wal guellil n'a que les mains jointes pour implorer Dieu.

Vous êtes mon dernier espoir, Monsieur le Maire. J'ai frappé à toutes les portes. Celle des de la famille tombe en ruine. Celle des amis n'est pas solide. Devant celle des associations, il y a une longue file d'attente. Quant à la vôtre, elle est inaccessible. Elle est trop bien gardée.

J'espère que ma lettre vous parviendra et que vous la lirez et vous vous pencherez sur mon problème


Je vous prie encore une fois d'excuser les ratures et les erreurs. Le plus important est que vous arriviez à comprendre l'écriture de mon fils. S'il y a quelque chose que vous ne comprenez pas ou que mon fils a oublié de mentionner, je serai à votre disposition pour vous l'expliquer et pour vous fournir d'autres informations.
J'ai beaucoup à dire, vous savez, mais je ne veux pas abuser de votre patience et de votre temps, de plus mon fils est fatigué d'écrire.

Dans l'attente d'un signe de votre part, veuillez accepter, Monsieur le Maire, mes respectueuses salutations.

Madame F. B
et ses quatre enfants















4 commentaires:

  1. Réponse de Sid El Mir :

    Chère Madame,

    Nous avons bien reçu votre courrier. Nous vous informons que pour un meilleur traitement de votre demande, nous avons besoin de nous pencher davantage dessus.

    Veuiilez agréer...

    S.E.M.

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    1. Ya Ghir Hak,

      Ne vous y penchez pas trop, le temps presse et la pendule tourne à la même vitesse qu'une roue qui fait du rallye dans une impasse.

      Veuillez capter...

      R.I.R.E.

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  2. Wellah qu'à mon avis, c'est une lettre digne d'intérêt: Elle résume le plus simplement du monde un cas ordinaire de préoccupation du peuple, mais considérable.
    En plus, en lisant entre les lignes,la maire "yetteqeff".

    Ce n'est pas du tout facile de se mettre à la place d'un autre; je dis que c'est très bien dit.
    Merci.

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    1. Bonjour Mohamed

      Triste réalité qu'est celle de certaines familles chez nous.
      Quand je pense que... nahbess, il vaut mieux, sinon nazaâf.

      Merci à toi.

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