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dimanche 12 février 2012

Bled el digoûtage




Le digoûtage est la maladie du siècle chez nous, chaâb mdigouti, men lekbir hetta lasghir.. Quand on demande aux gens pourquoi ils sont dégoûtés, ils répondent parce que rana fi bled el digoûtage.

Je me souviens du jour ou ma mère a demandé à mon frère d'aller chercher des œufs chez l'épicier, pour faire un gâteau parce qu'une tante s'était invitée pour le café. Ce n'est pas une tante, mais on dit tante ou oncle à toutes les personnes âgées de la famille dont le lien familial est le plus souvent lointain,  alors on dit "khalti" ou "khali".  J'avais une camarade de classe qui disait "khalti" à la directrice  de l'établissement. Alors la directrice lui a dit que si elle continuait à l'appeler "khalti" elle serait punie.

Quand ma mère a demandé à mon frère d'aller lui acheter des œufs, il lui a répondu qu'il était dégoûté, qu'elle devrait me le demander, à moi . Mon père l'a entendu. Je me demande comment parce qu'il était en train de regarder la télé et de lire le journal en même temps.
Il s'est levé et est allé parler à mon frère et lui a dit qu'il était très fier de lui, très fier de compter sur un fils qui n'hésiterait pas à envoyer sa sœur au front parce que la guerre des poules lui faisait peur. Il l'a embrassé sur le front et il est retourné regarder la télé.
Moi, je ne comprenais rien. J'étais vexée parce que je n'avais pas envie de sortir chercher des œufs à cause de cette tante qui ne venait  nous voir que quand elle avait besoin de quelque chose.
Ô miracle, mon frère est sorti de sa chambre, il est allé dans la salle de bains se mettre du gel dans les cheveux. Ensuite, il a demandé à ma mère combien d'œufs elle voulait pour son gâteau. Quand elle a voulu lui donner de l'argent, il lui a répondu qu'il avait de quoi les payer.
Himaroun mata quelque part !

Au lycée, j'avais une copine, celle qui changeait tout le temps la couverture de ses livres et de ses cahiers.
Elle était toujours dégoûtée. Toute les matières la dégoûtaient même la physique qui était sa matière préférée.
Une fois pendant la récré dans la cour, elle tenait un biscuit et le regardait, quand je lui ai demandé pourquoi elle ne le mangeait pas, elle m'a répondu qu'elle était dégoûtée de mâcher. Une autre copine qui était avec nous, lui a dit : "Je peux le mâcher pour toi.". Elle lui a répondu :
- Baba ma yakhdamch aâlik. Si tu veux mâcher un biscuit,  apporte ton propre biscuit pour la récré !

L'autre jour, ma mère et moi avons croisé une voisine, la dernière de sa génération qui n'est pas encore mariée dans le quartier et qui croit que sahrouha bach ma tetzawedjch. Elle revenait de la mosquée après la salat du vendredi.
Ma mère voulait l'éviter mais elle nous avait déjà vues. Elle s'est arrêtée pour nous parler. Machinalement, ma mère lui  a demande comment elle allait. Elle lui a répondu qu'elle était dégoûtée de tout, de sa famille, des voisins, de son travail et du pays et que si demain Sadikou venait la demander en mariage elle accepterait. Sadikou est un voisin très âgé, jamais marié, ses parents sont morts, il vit avec son frère et sa famille.
Après avoir quitté la voisine, j'ai dit à mère que ce serait bien si la voisine se mariait avec Sadikou. Ma mère m'a répondu que Sadikou était peut-être très vieux mais pas fou.


Avec mon père, il ne faut pas parler de digoûtage. Il trouve ce mot ridicule, qu'il reflète l'esprit arrêté de la personne qui l'utilise. A un grand cousin qui disait qu'il était dégoûté de bled Mickey, mon père avait répondu répondit que si le bled allait mal c'est parce que justement il était habité par des millions de Mickey inanimés et dégoûtés.

Aujourd'hui moi, je suis dégoûtée, pas à cause du pays, mais à cause du bouton que j'ai sur le menton. J'espère qu'il disparaîtra d'ici demain.
Quand je l'ai dit à mère, elle m'a répondu :  "Enness rahi tmout pour leur liberté wa nti harti fi hbibat chbeb.".
Elle a raison et je suis de tout cœur avec ces gens. Mais ces gens qui se battent pour leur liberté n'ont peut-être pas de collègues qui vont les taquiner toute la journée de demain pour un bouton sur le menton.

A chacun sa petite guerre !


Makhlouqiate
Le 29 janvier 2011

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