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samedi 14 avril 2012

Dis-moi ce que tu portes, je te dirai si ta tenue est décente







J'aime les pauses-café au bureau. Non pas pour le café qui est souvent infect, soit chourourou soit  goudroun.
J'aime les pauses-café,  pour souffler un peu, enqaâd rassi comme on dit chez nous, et aussi pour discutailler avec les collègues. Pas n'importe quel collègue. Il y en a que j'évite de croiser dans la salle qui nous sert de cantine.
Eh non, nous n'avons pas de cantine à l'entreprise ! Pourquoi ?  C'est une autre histoire.

A midi, on se débrouille. Si l'on est affamé, on sort s'acheter un sandwich douteux ou bien on va manger vite fait mal digéré au petit restau du coin. Si l'on est prévoyant, naqraw l'aâqoubatna avant l'âge de la retraite, on emmène son déjeuner avec soi au bureau ; il faut veiller à bien l'emballer pour éviter d'étourdir les autres passagers du bus avec l'odeur de la techkchouka besbes et du batikh au ma zhar.

Cela me rappelle une dame dans le bus. C'était le matin à l'heure de pointe. Elle avait deux sacs, un petit et un grand et un ruban blanc dans les cheveux qui cachait la minuscule queue-de-cheval, comme un qardoun
J'ai essayé une fois de dormir avec le qardoun. Je voulais imiter une cousine qui était venue passer la nuit chez nous parce qu'elle avait rendez-vous le lendemain à l'hôpital.
Cette cousine avant de dormir, elle fait le qardoun, elle brosse ses dents avec du citron, ce qu'il lui fait des lèvres sèches et givrées au réveil, elle met du talc sur le visage et dort avec trois oreillers : sous la tête, sur le ventre et sous les pieds.
Cette nuit-là, je n'ai pas pu dormi. Je me suis réveillée en pleine nuit. J'ai enlevé le qardoun dans le noir pour ne pas réveiller ma cousine qui ne supporte pas la lumière quand elle dort ; moi non plus, mais quand je passe la nuit chez les gens, ce que je fais rarement pour deux raisons, je supporte et la lumière et les ronflements et la tchaqlala  dès l'aube dans leur maison.
Quelles sont ces deux raison ? C'est une histoire compliquée.

Alors la femme aux deux sacs en se levant pour descendre du bus, a fait tomber son grand sac. Et qu'avons-nous vu s'échapper du sac ? Deux tomates farcies à la viande hachée et du riz. Elle a dû faire bouillir trop longtemps le riz car les grains étaient plus gros que les morceaux de viande hachée.
Pauvres tomates, elles ont vite été piétinées par les passagers qui se précipitaient pour descendre car le chauffeur de bus, comme beaucoup de ses collègues, n'était pas de bonne humeur. Il redémarrait avant que tout le monde n'ait eu le temps de descendre. "Assana nahabtou, ya si Mohmed, wach bik mqalak maâ sbah !", lui a dit un monsieur dont la voix n'était pas du tout adéquate avec sa grosse corpulence. La réponse du chauffeur de bus n'est pas recommandée aux oreilles et aux yeux respectables. Passons !

On discute beaucoup dans la salle qui nous sert de cantine, entre autres. On discute de tout et de rien et du patron quand lui et Dahka safra sont absents. Dahka safra, c'est sa secrétaire.
Son surnom est une longue histoire.

Il y a quelques jours à l'heure de la pause-café de l'après-midi alors que nous prenions tranquillement le thé en discutant tranquillement du vote ou ne vote pas. Un vote qui va encore fragmenter le peuple.
C'est une histoire douloureuse, celle-là.

Nous profitions de notre pause dans le calme et la bonne humeur, quand Bessif nsaâf moulate swalaf est venue se joindre à nous. Bessif nsaâf moulate swalaf est le surnom qu'on a donné à une collègue parce qu'elle adoree cette chanson qu'elle écoute tous les jours dans sa voiture. Parfois on l'appelle  Essaâffa.
Quand elle s'est attablée, un collègue lui a demandé : "Tu n'as pas froid aux jambes ?".
"Non. Il fait chaud aujourd'hui." lui a t-elle répondu. Une autre collègue lui a dit : "J'ai froid à ta place.".
"Mais pourquoi ?",  lui dit-elle.
Je voyais la tempête arriver.
"Parce que ta robe est trop courte pour te réchauffer les jambes..."
Ce n'était pas une tempête. Je m'étais trompée. C'était un ouragan qui allait s'abattre sur nous.
Le sang de Essaâffa  n'a pas eu le temps de régler sa circulation. "Mais de quoi tu te mêles, ya wahed el i'dari. Vous n'avez que ça à faire, surveiller la longueur des robes des femmes.", lui a-t-elle servi en l'arrosant de postillons.
La riposte n'a pas tardé.
Et je te dis que c'est indécent de s'habiller comme tu le fais. Et je m'habille comme je veux. Et une fille de bonne famille ne s'habille pas comme ça. Et si tu étais musulmane, tu mettrais le hidjab. Et le hidjab n'est pas obligatoire. Et tu ne connais pas ta religion ya djahla. Et wa qala el rassoul (saws). Et loukan djiti khti. Et ma dakhalch rouhak fiya. Et je m'habille comme je veux. Et ne viens pas te plaindre si tu te fais agresser dans la rue. Et had el aâqliya qui fait notre malheur. Et loukan djiti taârfi el oussoul. Et a'oudou billah mina el oussoul taâ les salafistes comme toi. Et loukan djiti tahachmi, tu ne parlerais et ne mangerais pas avec des hommes que tu ne connais. Et... Ah, qu'est-ce qu'il a dit ? N'touma machi kif-kif. Comment cela machi kik-kif ?  N'touma rakoum mastourate sauf n'ti S. si tu mettais el hidjeb twali une vraie musulmane.  Pardon ? Je suis quoi maintenant, une musulmane taâ el cartoune ? Non, hacha.

Comme la fois où j'étais chez une copine, celle qui était mariée à un écrivain, qu'elle a quitté parce qu'il faisait toujours allusion à une " Madjhoula" dans ses romans ; il lui a même dédié un poème, à cette inconnue.
Cet après-midi-là, elle organisait un café et avait invité ses copines que je ne connaissais pas. Je ne les connais toujours pas. Je ne les ai plus revues depuis.
Pourquoi ? Pour une histoire de courant qui a eu du mal à passer.

Il faisait très chaud, trente-cinq degrés. "C'est une journée de plage", j'ai dit à une de ses copines qui se plaignait de la canicule.

"Tu vas à la plage, toi ?" m'a-t-elle demandé.

Oui, je vais à la plage en famille et parfois avec des copines.  Pourquoi ce regard inquisiteur !

"Bayna aâlik nti t'oumi bel maillot"

Win bayen aâliya. Tu me vois appliquer ma crème solaire sur les les jambes et les bras.
Et puis qu'insinue cette remarque !

"Bayen fel hatta dialek."

Restons-en là madabik. Ce raisonnement m'excède. Il fait chaud. Le café est brûlant. Le lait est bouillonnant. Ne nous énervons pas.

C'est de ce courant que je parlais. Un courant culpabilisant et moralisateur qui veut s'imposer dans la société. Une société qui ne sait plus sur quel pied danser.

J'entends d'ici khalti Djawida dire koul wach aâdjbek wa l'bess wach yaâdjeb enass.




 












4 commentaires:

  1. Difficile de décrocher quand on a embrayé sur la première phrase. Le passage de la dispute salafo-moderniste est excellent.

    Même la sagesse de Khalti Djawida n'est pas de trop...

    Conclusion : Bessif nsaâf moulate swalaf !

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    1. Bonjour Ghir Hak

      Toi aussi, tu connais la chanson ! Rire.

      Khalti Djawida est très sage comme toutes les personnes de son âge... enfin presque toutes car il y en a qui perdent le nord.
      Hadi, c'est une autre qassa.

      Merci d'être passé.

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  2. Joli, comme à l'accoutumée.

    "Et une fille de bonne famille ne s'habille pas comme ça".
    Euh, ne dit-on pas que l'habit ... fait le moine?
    Du moins, chez nous.

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    1. Bonjour Mohamed

      Il y en qui reconnaissent le moine à ses chaussettes.
      Mayna !

      Merci à toi.

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