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jeudi 23 juin 2016

Chez le fleuriste




 

- Sbah el kheïr
- Sabah el ward wal yasmine.
- C'est pour un bouquet de fleurs.
- Pour un mariage ?
- Pas encore. C'est pour les offrir à ma fiancée.
- C'est son anniversaire ?
- Non.
- Elle est à l'hôpital ?
- Non plus.
- Vous vous êtes disputés ?
- Non !
- Alors pourquoi lui offrez-vous des fleurs ?
- Parce que j'en ai envie.
- Pourquoi vous ne lui offrez pas un gigot ou une chèvre qui lui donnera du lait ?
- Vous plaisantez, j'espère.
- Pas du tout. Les fleurs se fanent, ça nourrit pas sa femme. Vous dites que c'est votre fiancée, nourrissez-la pour que plus tard, elle tiendra votre maison et vous donnera des enfants en bonne santé.
- Ce n'est pas le moment, elle est au régime.
- Et vous la laissez faire ! Si c'était ma fiancée, je lui aurais interdit de faire le régime. Si elle s'entête, j'annule tout et j'irai trouver une autre qui ne cherche pas à ressembler à ces squelettes ambulants au teint blafard que l'on fait passer pour des femmes fatales.
- Vous avez des idées archaïques sur le mariage. Les choses ont évolué. Aujourd'hui, l'épouse a le droit de décider, d'imposer ses idées...
- C'est parce que le mari lui a cédé sa place.
- Où était sa place, dites-moi ?
- Sur le trône. C'est lui le roi, le père, le travailleur, le décideur...
- C'était il y a longtemps. Aujourd'hui l'homme et la femme partagent le même trône. Ils gèrent ensemble le royaume.
- On voit que l'on vous a bien endoctriné. Je compatis.
- Votre compassion me touche.
Chez nous, on est civilisés, on offre des fleurs. Et puis, où voulez-vous qu'elle mette la chèvre ! Qui va la traire !
- Chez ses parents. Ils sont habitués à...
- Habitués, comment cela ? Ils n'ont jamais eu de ferme. Non ! Ne répondez pas, je ne veux pas le savoir.
- Des bijoux.
- Pardon ?
- Offrez-lui des bijoux. Nos femmes aiment tout ce qui est étincelant.
- Dites-moi, vous faites ça avec tous vos clients ?
- Seulement avec des hommes comme vous.
- Ils sont comment les hommes comme moi ?
- Naïfs et facilement manipulables.
- Parce que pour vous, offrir des fleurs à sa fiancée relève de la naïveté ?
- Oui, monsieur. Je vais vous dire ce qu'elle fera de vos fleurs : elle vous dira qu'elle les trouve belles, que vous êtes très attentionné, qu'elle est toute émue. Elle laissera même couler une larme ; mais au fond, elle aurait préféré un bijou, quelque chose qui a plus de valeur qu'elle pourra montrer à ses copines ou à ses cousines qui ne sont pas encore fiancées. Elle n'en a que faire d'un bouquet de fleurs qui se faneront au bout d'une semaine et qu'elle jettera sans regret.
- Mais c'est le geste qui compte.
- Mazalek avec le geste qui compte ! Les femmes d'aujourd'hui veulent qu'on les habille de billets d'argent et couvre leurs doigts et leurs cous de pierres précieuses. C'est le seul geste qui compte pour elles.
- Si je comprends bien, vous refusez de me vendre des fleurs.
- J'essaie de vous ouvrir les yeux.
- J'ai une bonne vue, je vous en remercie.
- On est aveugle et imprudent à votre âge, jeune homme.
- Je ne vous comprends pas. Vous êtes fleuriste, vous devriez me persuader d'acheter un grand bouquet, vanter l'effet des fleurs sur les femmes et tout le blabla commercial.
- Mais je ne suis pas fleuriste.
- Pardon ?
- Ce n'est pas mon magasin. C'est celui d'un ami, il est allé à la poste m'acheter des timbres fiscaux. Je garde la boutique en son absence. Il ne va pas tarder à revenir.
- Vous faites quoi, sans être indiscret ?
- Je suis avocat.
- Vous plaisantez encore ?
- Du tout. Voici ma carte, avocat spécialisé divorce. Gardez-la. Elle vous sera utile dans pas longtemps.
- Vous croyez ?
- J'en suis certain.
- Ah oui ?
- Oui, monsieur.
Ce n'est pas à votre fiancée que vous êtes venu acheter des fleurs, mais à votre... euh... petite amie, on va dire. Vous êtes un monsieur marié.
- Qu'est-ce qui vous fait croire cela ?
- Le col de votre chemise, monsieur.
- Qu'est-ce qu'il a le col de ma chemise ?
- Il est trop bien repassé.
- Ah ?
- C'est un piège que votre épouse vous a tendu.
- Mais qu'est-ce que vous racontez !
- Elle a amidonné le col et les poignets afin de leur conférer plus de tenue. Gare aux froissements faits par de jolis bras accrochés à votre cou.

Le jeune homme le regarde, sourit, lui serre la main et quitte le magasin.






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